Discours du trône 2024
Mesdames et messieurs les membres des États généraux,
Il est tentant, à l’aube de cette année parlementaire, de revenir sur les événements sportifs de l’été qui ont démontré, une fois encore, de quoi notre pays est capable. Pour les millions d’amateurs de sport aux Pays-Bas – dont ma propre famille – il y avait de quoi s’enthousiasmer. Et de quoi être fier.
En nombre d’habitants, les Pays-Bas occupent environ la 70e place au niveau mondial. Mais aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris, notre pays s’est hissé, respectivement, aux 6e et 4e rangs du tableau des médailles. Un palmarès révélateur. Par leurs performances exceptionnelles, les sportifs de Team NL ont montré que le talent, l’effort et la ténacité permettent d’atteindre des sommets, en dépit des inévitables déconvenues. Un exemple dont peut s’inspirer la société. Quand nous nous concentrons sur nos objectifs, nous sommes en mesure d’accomplir de grandes choses et de maintenir le niveau élevé de qualité de vie dans notre pays.
C’est en s’appuyant sur cette idée que le gouvernement veut, avec vous, répondre dans les années à venir aux inquiétudes qui se sont si clairement exprimées dans les urnes en novembre et qui touchent à la sécurité socioéconomique des personnes. Les préoccupations sont pressantes en ce qui concerne la migration, la pénurie de logements et les revenus des ménages. L’avenir est source d’inquiétudes : l’économie, la qualité et l’accessibilité des soins et de l’éducation, l’approvisionnement énergétique et le climat, et la sécurité nationale et internationale dans un monde en prise aux menaces et au désordre. Sans oublier les craintes sous-jacentes, qui ont trait au lien social et à la confiance dans les pouvoirs publics.
Nombre des problèmes urgents auxquels nous sommes confrontés, en matière notamment de migration, de logement, d’agriculture et de nature, sont dus à l’énorme fouillis de règles, de procédures et de mécanismes de contrôle qui se sont accumulés au fil des ans. Or, dans de nombreux cas, la réalité des esquisses politiques cadre mal avec la pratique quotidienne. Les gens s’entendent trop souvent dire que quelque chose est impossible ou interdit pour des questions de forme, ce qui leur donne l’impression de perdre le contrôle de leur propre vie. Et, de plus en plus souvent, ce qui devrait être normal devient incertain : un toit au-dessus de sa tête, un revenu suffisant ou un cadre de vie familier. Ce manque de certitude mine le sentiment d’autonomie et entraîne en outre la détérioration des relations et la perte de cohésion sociale.
C’est précisément cette tendance que le gouvernement veut renverser dans la période à venir. Pas à pas, avec énergie et enthousiasme, mais aussi avec pragmatisme et sens des réalités. Il s’agit d’aborder de front les problèmes enlisés depuis trop longtemps et de les démêler à l’aide d’une politique compréhensible, explicable et surtout applicable. Ce, bien entendu, dans le respect de l’État de droit et avec l’honnêteté de reconnaître les limites existantes, liées par exemple à l’aménagement du territoire, à l’environnement, aux marges financières ou au manque de personnel. Quelles sont les possibilités ? Tel doit être le point de départ de la politique gouvernementale. Comment simplifier les choses et consolider les bases ? Et comment donner aux gens plus de marge de manœuvre et plus de certitude, de sorte à leur apporter la force et la confiance nécessaires pour dessiner leur propre avenir ?
Ce changement de perspective réclame aussi une autre administration publique, davantage axée sur la notion de service. Une administration qui donne plus de liberté d’action et accorde sa confiance aux citoyens mais aussi à tous les fonctionnaires et autres agents des services publics qui font en sorte que notre pays reste sûr, propre, accessible, intelligent et dynamique. Le programme gouvernemental qui vous a été présenté la semaine dernière contient de nombreuses dispositions sur la bonne gouvernance et la solidité de l’État de droit. Ce n’est pas un hasard si l’un des premiers points concerne l’impérative nécessité de mieux protéger les citoyens et d’éviter qu’à l’avenir ils se retrouvent en difficulté à cause de l’action de l’administration. Il n’est plus acceptable qu’une seule faute plonge immédiatement les gens dans l’impasse. Il importe d’impliquer à un stade précoce du processus décisionnel les organismes de mise en œuvre des services publics, les communes et les provinces, les citoyens et les organes consultatifs. Cela devrait aussi permettre de mieux reconnaître les spécificités et caractéristiques régionales pour leur donner davantage de latitude. « Chaque région compte » est l’un des principes importants sur lesquels repose le programme gouvernemental. D’autres propositions portent sur l’augmentation de la transparence, la modernisation du mode de scrutin, l’amélioration de la législation et la protection accrue des droits fondamentaux. Constituant une base aux efforts communs axés sur la prospérité et le bien-être futurs, ces dispositions en faveur de la bonne gouvernance et de la sécurité juridique s’étendent naturellement à la partie caraïbe du Royaume.
Sur le fond, le programme gouvernemental contient de nombreux sujets et projets qui vous seront soumis dans l’année à venir et les suivantes. Le chantier est ouvert, avec des plans plus ou moins concrets selon les cas. Mais la question de l’équilibre entre action immédiate et définition des orientations pour l’avenir est récurrente dans chaque chapitre du programme gouvernemental.
Elle est évidente, en premier lieu, dans les propositions financières relatives aux revenus, aux dépenses et au pouvoir d’achat. Une politique budgétaire rigoureuse doit maintenir l’ordre à long terme dans les finances publiques. Cet engagement a le mérite d’être clair mais oblige aussi à faire des choix au moment où déjà quelques revers sont apparus. À court terme, il est important que le pouvoir d’achat augmente pour tous et le plus rapidement possible. L’année prochaine, toutes les catégories profiteront d’une légère embellie à cet égard, aussi bien les actifs aux revenus moyens que les bas salaires et les retraités. Le gouvernement continuera, avec les communes notamment, à lutter contre la pauvreté et à s’attaquer au problème des dettes, par exemple en limitant l’accumulation des frais de recouvrement. Le système de soutien aux revenus dans sa totalité, y compris les allocations, sera profondément remanié et simplifié de sorte à renforcer la sécurité des revenus et à éviter que des personnes se retrouvent hors-jeu à cause de fautes du système. La priorité absolue sera accordée à la poursuite du processus de réparation dans l’affaire des allocations de garde d’enfant, ainsi qu’à la réparation des dégâts des tremblements de terre en Groningue.
La maîtrise des migrations est l’un des thèmes majeurs du programme gouvernemental. La population des Pays-Bas a atteint, beaucoup plus vite que prévu, le nombre de 18 millions d’habitants du fait de l’asile, du regroupement familial et de l’immigration de travailleurs et d’étudiants. Cela pèse lourdement sur nos services publics et notre mode de vie. Les problèmes sont particulièrement pressants en ce qui concerne la chaîne d’asile. Le gouvernement fera le plus rapidement possible tout ce qui est en son pouvoir pour réduire le nombre de demandes d’asile et résoudre les situations déplorables autour des centres d’accueil comme à Ter Apel et à Budel. Au cœur de l’approche : plus de rapidité, de sévérité et de sobriété. Pensons notamment à une procédure accélérée et à un accueil spartiate pour les demandeurs d’asile ayant peu de chances d’obtenir le statut de réfugié, ainsi qu’à une politique de sanction immédiate pour les fauteurs de troubles en provenance de pays sûrs. Le gouvernement travaille à une loi d’urgence temporaire sur l’asile permettant d’accroître les chances de succès de cette approche. La conclusion d’accords avec les pays d’émigration et de transit en vue de mettre fin à la traite des êtres humains, au trafic de clandestins et aux routes migratoires illégales se verra accorder une haute priorité. Les Pays-Bas plaideront aussi en ce sens au sein de l’Europe. Dans la perspective de l’introduction du Pacte européen sur la migration et l’asile en 2026, les Pays-Bas appliqueront un régime d’admission beaucoup plus sévère. Pour un migrant, ne pas coopérer à son retour deviendra une infraction pénale et les conditions pour obtenir un passeport néerlandais seront plus strictes.
La tension sur le marché du travail est un problème social dont l’importance ne cesse de croître. La pénurie aigüe de personnel se fait sentir partout – du secteur technique aux transports publics, de l’enseignement à la santé, de l’hôtellerie-restauration à l’horticulture. C’est pourquoi il importe d’inciter ceux qui sont encore sur la touche à travailler. Par ailleurs, encourager les employés à temps partiel à travailler plus permet aussi d’obtenir des résultats relativement rapides. Le gouvernement y travaille en favorisant, entre autres, les CDI et en veillant à ce que travailler plus permette effectivement de gagner plus à la fin du mois. Pour l’avenir, nous devons mener une réflexion plus poussée sur les types d’emplois que nous souhaitons ou non avoir aux Pays-Bas et sur les conséquences en termes d’immigration du travail. Ce qui est certain, c’est qu’il faut systématiquement combattre les abus et l’exploitation des travailleurs immigrés. Le gouvernement vous transmettra au printemps un premier inventaire des améliorations envisageables pour le marché du travail de demain.
Bien entendu, le manque de personnel est un important sujet de préoccupation pour les entrepreneurs. Le gouvernement est pleinement conscient que ce sont les entreprises qui permettent de financer nos services publics. Ne serait-ce que pour cette raison, les entrepreneurs méritent toute notre considération et doivent bénéficier de la latitude nécessaire à leur développement. Il est essentiel de continuer à œuvrer à un climat des affaires attractif. Dans cet objectif, le gouvernement vise moins de règles, un allègement des charges et plus de fonds pour l’innovation par l’intermédiaire de l’agence Invest-NL. Il s’agit de rendre beaucoup plus prévisible la politique relative aux entreprises. À l’automne aura lieu une grande conférence dédiée au climat des affaires pour définir, en concertation avec le secteur, les besoins et les possibilités. Une bonne accessibilité est en tout cas fondamentale, particulièrement pour le port de Rotterdam et l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol. Afin de préserver la qualité de nos réseaux routier, ferroviaire et navigable, les prochaines années seront consacrées aux plus grands travaux d’entretien jamais engagés. Pour le long terme, des plans ont été et continuent d’être développés pour la création de nouvelles infrastructures, y compris en dehors de la Randstad, comme la ligne de la Basse-Saxe entre Groningue et Enschede.
L’un des obstacles majeurs à l’extension des entreprises est le manque de capacité du réseau électrique. Le gouvernement entend s’y atteler en priorité. Notre pays, lié à l’accord de Paris sur le climat, poursuit la rénovation énergétique des habitations et autres bâtiments, le développement des centrales nucléaires et des parcs éoliens comme sources d’énergie de demain, et le renforcement de la sécurité d’approvisionnement. L’important est que la transition énergétique soit faisable et abordable pour tous. La décarbonation de l’industrie et la recherche de solutions innovantes sont synonymes de nouvelles opportunités. Opter pour la croissance verte, c’est commencer par se demander ce que nous pouvons faire aujourd’hui pour en récolter les fruits demain.
Les secteurs agricole et de la pêche sont peut-être ceux qui souffrent le plus de la surabondance des réglementations. Ce gouvernement veut en finir avec l’idée clivante selon laquelle production alimentaire et biodiversité sont incompatibles. C’est justement la coexistence de l’agriculture et de la nature qui fait depuis toujours la beauté du paysage néerlandais. Nous devons changer notre manière de penser et d’agir, en commençant par reconnaître l’importance de la sécurité alimentaire dans un monde incertain, et le travail de nos agriculteurs qui sont parmi les plus efficaces au monde. C’est une source de fierté dont il nous faut prendre soin. À court terme, la question la plus pressante est celle de la crise des effluents d’élevage. Un plan d’action à ce sujet vous sera prochainement transmis. Il est nécessaire que la politique agricole soit réaliste et réalisable, qu’elle donne aux agriculteurs et aux pêcheurs une perspective claire à long terme, et qu’elle leur laisse la marge de manœuvre requise pour entreprendre, sans nouvelles surtranspositions des accords internationaux. Les mesures n’incluront pas de fermeture forcée d’exploitations et se fonderont dorénavant sur l’état réel de la nature et la mesure des émissions. La politique en la matière sera par ailleurs axée sur les objectifs, les agriculteurs se voyant confier le soin de définir eux-mêmes la façon de les réaliser. Une enveloppe de cinq milliards d’euros est réservée pour permettre d’opérer les changements requis. En outre, un budget distinct d’un demi-milliard d’euros par an sera destiné à la gestion agro-environnementale.
Le gouvernement s’appuie sur le vaste concept de sécurité socioéconomique, y compris pour les missions publiques classiques telles que la sécurité, le logement, l’éducation et la santé. Le maître mot de nos politiques doit être la consolidation des bases. Et quoi de plus basique que le sentiment de sécurité ? Il est de plus en plus difficile de dissocier sécurité nationale et internationale. Dans un monde confronté aux foyers de crise, aux cyberattaques, à la désinformation et aux menaces croissantes, les Pays-Bas ne peuvent assurer leur sécurité seuls. Notre pays a toujours été tourné vers l’extérieur. Et il continuera de l’être, car la coopération au sein de l’Union européenne et de l’OTAN garantit notre prospérité, notre stabilité et notre sécurité. La décision de maintenir notre soutien à l’Ukraine sert directement l’intérêt national, tant sur le plan militaire qu’économique. Tout comme le choix de donner un ancrage législatif au montant du budget de la défense. L’État de droit néerlandais et l’ordre juridique international doivent à tout prix être protégés et renforcés. C’est pourquoi, dans la période à venir, le gouvernement investira notamment dans les forces de police, dans la lutte continue contre la criminalité subversive et dans la défense. Le fait que le sommet de l’OTAN se tienne l’année prochaine à La Haye illustre une fois de plus l’implication et l’engagement des Pays-Bas au niveau international.
L’une des questions clés pour l’avenir est comment prémunir notre pays contre les menaces croissantes. Nous devons être prêts à faire face par exemple à des attaques visant nos systèmes numériques, nos routes, nos réseaux énergétiques, nos ports et nos ouvrages hydrauliques. Mais chacun de nous à la maison doit aussi s’armer contre d’éventuelles coupures temporaires, notamment d’électricité et d’eau. La résilience est un thème central, y compris au niveau européen, où nous œuvrons avec les autres États membres à renforcer notre sécurité d’approvisionnement en énergie et en matières premières.
La sécurité socioéconomique passe aussi – c’est fondamental – par la garantie d’un toit décent au-dessus de sa tête. La crise du logement est l’une des tâches les plus complexes auxquelles doit s’atteler le gouvernement. En effet, il ne s’agit pas seulement de construire plus d’habitations mais aussi de répartir un espace restreint. Dans la détermination des priorités, nous voyons se heurter de nombreux intérêts légitimes : la construction de maisons, d’écoles et d’entreprises ; l’infrastructure, l’approvisionnement énergétique et la protection contre l’eau ; l’agriculture, la nature et la défense. Chacun de ces domaines demande de l’espace. Mais ce dernier est limité. La Note sur l’aménagement du territoire que le gouvernement présentera d’ici l’été prochain définira la manière de répartir l’espace disponible le plus équitablement possible. Il est indéniable que nous devons construire plus et plus vite. L’objectif est de bâtir cent mille logements supplémentaires par an. Un budget additionnel de cinq milliards d’euros est prévu à cet effet pour les prochaines années, ainsi qu’une enveloppe de deux milliards et demi d’euros allouée à l’accessibilité des nouveaux quartiers. Avant la fin de l’année, lors d’un sommet national sur le logement, le gouvernement conclura des engagements contraignants avec les collectivités territoriales, les investisseurs comme les fonds de pension et les bailleurs sociaux. Il est crucial, dans ce cadre, de raccourcir les procédures et d’harmoniser les règles au niveau local.
Dans l’éducation, consolider les bases signifie mettre l’accent sur les compétences élémentaires que sont la lecture, l’écriture et le calcul. Vous recevrez bientôt les grandes lignes du Plan de relance pour la qualité de l’éducation, qui s’inscrira dans la continuité des initiatives en cours visant à l’amélioration de ces compétences. Dans ce secteur, le calme et la continuité sont bénéfiques, et non la succession de nouvelles grandes expérimentations. En ce qui concerne l’enseignement secondaire professionnel et le supérieur, le gouvernement entend davantage se concentrer, des filières technologiques à l’université, sur les domaines d’enseignement et de recherche qui tendent à répondre aux besoins de notre pays. Des choix rigoureux doivent être faits, tant pour des raisons de fond que financières, par exemple celui de réduire le nombre d’étudiants étrangers ou de rendre au néerlandais sa place de langue principale dans l’enseignement supérieur.
Notre santé étant ce qu’il y a de plus précieux, la valeur des soins de santé est inestimable. La franchise obligatoire sera d’abord gelée puis, à partir de 2027, réduite de plus de moitié, à 165 euros maximum par an. L’objectif est de rendre l’accès aux soins de santé plus équitable. C’est l’urgence de la demande de soins qui doit être centrale, et non le portemonnaie du patient. Les réductions budgétaires prévues dans le domaine des soins aux personnes âgées ont été supprimées pour l’année prochaine. Pour éviter que le manque d’effectifs dans le secteur médical ne devienne incontrôlable, il est urgent de réduire de moitié le temps dédié aux tâches administratives pour permettre au personnel de se consacrer davantage aux patients. Cela demande des innovations en matière de numérisation et une bonne utilisation de l’intelligence artificielle. Des outils techniques peuvent par ailleurs nous faire gagner du temps au profit d’une plus grande attention personnelle, tant à domicile qu’à l’hôpital. Des précisions concrètes seront prochainement apportées à l’accord actuel sur la santé, par exemple en ce qui concerne la continuité des centres hospitaliers régionaux. Puisqu’il vaut mieux prévenir que guérir, la prévention continuera à faire partie de nos priorités.
Mesdames et messieurs les membres des États généraux,
Dans notre société complexe, il est souvent difficile de définir le champ des possibles. Il s’agit pourtant d’une tâche qui incombe à quiconque assume une responsabilité politique ou administrative. Car lorsque les règles d’un pays se transforment en écueils pour de larges pans de la population, les politiques publiques perdent tout leur sens. C’est dans cet état d’esprit que le gouvernement souhaite travailler pas à pas à des solutions concrètes contribuant à plus de sécurité, de confiance et de cohésion. Il ne pourra y parvenir qu’en étroite coopération avec vous. Puissiez-vous remplir votre mission en sachant que beaucoup vous souhaitent la sagesse nécessaire et se joignent à moi pour prier que vous soient données la force et la bénédiction de Dieu.